Mes coups de cœur


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14 avril 2014

Divergente T.1 - Veronica Roth (Extrait)

Extrait : Divergente T.1
Veronica Roth
Éditions Nathan



Chapitre un

Chez moi, il y a un miroir. Il se trouve à l'étage sur le palier, derrière un panneau coulissant. Les règles de notre faction m'autorisent à m'y regarder le deuxième jour de chaque trimestre, quand ma mère me coupe les cheveux.
Je m’assois sur le tabouret et elle se tient derrière moi avec les ciseaux. Mes mèches tombent par terre en formant de lourds anneaux blonds.
Quand elle a terminé, ma mère rassemble mes cheveux et en fait une torsade qu'elle noue en chignon. Son calme et sa concentration m'impressionnent. Elle a une longue pratique dans l'art de s'oublier. Je ne peux pas en dire autant.
Je jette un coup d'œil furtif sur mon reflet pendant qu'elle ne fait pas attention ; non par vanité mais par curiosité. On peut changer beaucoup physiquement, en trois mois. Dans le miroir, je vois un visage étroit, de grands yeux ronds et un long nez aquilin. J'ai toujours l'air d'une petite fille, pourtant je viens d'avoir seize ans. Les autres factions fêtent les anniversaires, mais pas nous. Ce serait du narcissisme.
— Voilà, dit-elle ne maintenant mon chignon par une épingle.
Son regard rencontre le mien dans le miroir. Il est trop tard pour que je le détourne. Pourtant, au lieu de me réprimander, elle sourit à notre reflet. Je fronce les sourcils. Pourquoi ne me gronde-t-elle pas ?
— Alors, c'est le grand jour, ajoute-t-elle.
— Oui.
— Tu te sens nerveuse ?
Je me fixe dans le miroir. Aujourd'hui, c'est le jour du test d'aptitudes, qui va m'indiquer pour quelle faction je suis faite parmi les cinq qui existent. Et demain, à la cérémonie du Choix, je déciderai de celle à laquelle je veux appartenir. Je déciderai du reste de ma vie. Je déciderai de rester auprès de ma famille ou de l'abandonner.
— Non, dis-je. Le test n'a pas à modifier nos choix.
— C'est vrai, acquiesce-t-elle en souriant. Allons prendre le petit-déjeuner.
— Merci. De m'avoir coupé les cheveux.
Elle m'embrasse sur la joue et fait coulisser le panneau devant le miroir. Je me dis que ma mère pourrait être belle, dans un monde différent. Son corps est mince sous sa tunique grise. Elle a les pommettes hautes et de longs cils, et quand elle détache ses cheveux pour la nuit, ils tombent en cascade sur ses épaules. Mais en tant qu'Altruiste, elle doit cacher cette beauté.
On va ensemble à la cuisine. Ces matins-là où mon frère fait le petit-déjeuner, où mon père effleure mes cheveux en lisant le journal, et où ma mère fredonne en débarrassant la table — ces matins-là sont ceux où je m'en veux le plus de vouloir les quitter.

+++

Le bus sent les gaz d'échappement. Chaque fois qu'il roule sur un pan de route aux pavés déchaussés, j'ai beau m'agripper au siège, je me fais secouer dans tous les sens.
Mon frère Caleb est debout dans l'allée centrale. Il a à peine dix mois de plus que moi — on est d'ailleurs dans la même classe — mais on est très différents. Il a les cheveux bruns et le nez brusqué de mon père, les yeux verts et les fossettes de ma mère. Cette combinaison était un peu étrange quand il était petit, mais elle lui va bien, maintenant. S'il ne faisait pas partie des Altruistes, je suis sûre que les filles du lycée le dévisageraient.
Il a aussi hérité du don de ma mère pour l'altruisme. Il vient de céder sa place à un Sincère grincheux sans hésiter une seconde.
Le Sincère porte un costume noir et une cravate blanche, les couleurs de sa faction. Celle-ci met l'accent sur la franchise et estime que tout dans ce monde est soit noir, soit blanc ; d'où la tenue de ses membres.
À mesure qu'on approche du cœur de la ville, les constructions se resserrent et l'état de la route s'améliore. La Ruche, cette tour qu'on appelait autrefois la Sears Tower, émerge du brouillard et se détache comme une colonne noire dans le ciel. Le bus passe sous les rails surélevés du train. Je n'ai jamais pris le train, même s'il circule en permanence et que la ville est sillonnée de voies ferrées. Les Audacieux sont les seuls à l'emprunter. 
Il y a cinq ans, des Altruistes bénévoles, ouvriers du bâtiment, ont repavé une partie des rues. Ils ont commencé par le centre-ville pour s'éloigner vers l'extérieur, jusqu'à ce qu'ils tombent à court de matériaux. Là où j'habite, les routes sont encore toutes fissurées et rapiécées, et assez dangereuses. De toute façon, on n'a pas de voiture.
Caleb reste imperturbable tandis que le bus brinquebale et tressaute. Il saisit une barre pour se retenir et la manche de sa tunique grise glisse sur son bras. Ses yeux ne cessent de bouger : il regarde les gens autour de nous, s'efforçant de ne voir qu'eux et de s'oublier lui-même... Si les Sincères privilégient l'honnêteté, notre faction, les Altruistes, favorise le don de soi.
Le bus s'arrête devant le lycée et je me lève. En passant à la hâte devant le Sincère, je bute sur ses pieds et je me rattrape à la main de Caleb. Mon pantalon est trop long, et j'ai toujours été un peu godiche.
Les trois bâtiments scolaires de la ville abritent chacun un niveau : élémentaire, intermédiaire et supérieur. Le niveau supérieur occupe l'édifice le plus ancien, en acier et en verre, comme toutes les constructions de cette zone. Devant se dresse une grande structure métallique que les Audacieux escaladent après les cours. C'est à celui qui grimpera le plus haut. L'an dernier, j'en ai vu un tomber et se casser la jambe. J'ai dû courir chercher l'infirmière.
— Alors, prêt pour le test d'aptitudes ? dis-je à Caleb tandis qu'on franchit la porte d'entrée. 
Il hoche la tête. 
À peine à l'intérieur, je me contracte. L'atmosphère est chargée d'une espèce d'avidité, comme si tous les élèves de dernière année étaient bien décidés à dévorer cette journée jusqu'à la dernière miette. On ne reviendra sans doute jamais dans ces couloirs après la cérémonie du Choix. Une fois notre décision prise, ce sont nos nouvelles factions qui se chargeront d'achever notre formation.
Aujourd'hui, la durée de chaque cours est divisée de moitié pour qu'on puisse assister à chacun d'eux avant le test, qui a lieu cet après-midi. J'ai déjà le cœur qui bat.
— Tu n'es pas du tout inquiet de savoir ce qu'ils vont dire ? insisté-je.
On s'arrête à la fourche dans le couloir où Caleb va partir d'un côté, vers la salle de maths, tandis que j'irai de l'autre, en histoire des factions. Il hausse les sourcils.
— Toi, si ?
Je pourrais lui avouer que j'angoisse depuis des semaines sur mon résultat : Altruiste, Sincère, Érudite, Fraternelle ou Audacieuse ?
Mais je me contente de répondre en souriant : 
— Pas vraiment.
Il sourit à son tour.
— Bon... passe une bonne journée.
Je me dirige vers la salle d'histoire des factions en me mordant la lèvre. Il a ignoré ma question.
Les couloirs sont bondés, mais la lumière qui entre par les fenêtres donne une illusion d'espace. Le lycée est un des rares endroits où les jeunes se mélangent entre factions. Aujourd'hui, on sent que les dernière année sont tous mus par une énergie nouvelle, saisis par la folie du dernier jour.
Une fille aux longs cheveux bouclés crie « hé ! » près de mon oreille en faisant signe à quelqu'un. La manche d'une veste me fouette la joue. Puis je me fais bousculer par un Érudit, reconnaissable à son pull bleu. Je perds l'équilibre et je m'affale par terre. 
— Pousse-toi, empotée ! aboie-t-il avant de continuer son chemin.
Je me relève et je m'époussette, les joues en feu. Quelques élèves se sont arrêtés mais aucun ne m'a proposé son aide. Ils me suivent des yeux jusqu'à l'angle du couloir. Voilà des mois que ceux de ma factions subissent ce genre d'incidents. Les Érudits ont diffusé des articles très critiques sur les Altruistes, et ça a commencé à affecter nos rapports avec les autres au lycée. Les vêtements gris, les coupes de cheveux banales et l'attitude réservée de ma faction sont censés nous aider à nous oublier nous-mêmes, et aider les autres à nous oublier par la même occasion. Voilà que cette discrétion fait de nous des cibles.
Je m'arrête à une fenêtre dans le couloir E pour attendre l'arrivée des Audacieux. Comme tous les matins. À sept heures vingt-cinq précises, ils prouvent leur courage en sautant d'un train en marche.
Mon père les appelle « les trublions ». Ils ont des piercings et des tatouages partout et ne s'habillent qu'en noir. Leur fonction principale est de garder la clôture qui entoure la ville. Contre quoi, je n'en sais rien.
Je devrais les trouver bizarres et me demander ce que le courage, la qualité qu'ils valorisent le plus, a à voir avec le fait d'avoir un anneau dans le nez. Au lieu de ça, mes yeux s'attachent à eux partout où ils vont.
Le signal du trait retentit et résonne dans ma poitrine. La lumière fixée à l'avant de la locomotive clignote tandis qu'il passe devant le lycée en grinçant sur ses rails. Et un flot de garçons et de filles vêtus de sombre jaillit des quelques wagons en marche, les uns en roulé-boulé, les autres en trébuchant sur quelques pas avant de retrouver leur équilibre. Un garçon rieur passe le bras autour des épaules d'une fille.
Cette manie de les observer est ridicule. Je me détourne de la fenêtre et je presse le pas dans la foule vers la salle d'histoire des factions. 
[...]


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