Jenny Downham
Éditions France Loisirs
Un
J’aimerais avoir un petit ami. J’aimerais qu’il vive sur un
cintre dans ma penderie. Je pourrais l’en sortir quand je voudrais et il me regarderait
comme les garçons regardent les filles dans les films, comme si j’étais belle. Il
parlerait peu mais respirerait très vite en ôtant sa veste de cuir et en
déboutonnant son jean. Il porterait un caleçon blanc et serait si sublime que
je m’en évanouirais presque. Alors il me retirerait mes vêtements. Et murmurerait :
« Je t’aime, Tessa. Je suis fou de toi. Tu es belle. » Voilà
exactement ce qu’il dirait en me déshabillant.
Je m’assieds et allume la lampe de chevet. Je trouve un
feutre, mais pas de papier, alors j’écris sur le mur derrière moi : « Je veux sentir le poids d’un garçon sur mon
corps. » Puis je me rallonge, les yeux tournés vers la fenêtre. Le ciel
est d’une étrange couleur, rougeoyant et charbonneux à la fois, comme si le
jour perdait son sang.
Ça sent la saucisse. Il y a toujours des saucisses, le
samedi soir. Avec de la purée, du chou et de la sauce aux oignons. Papa a dû
acheter son ticket de loterie, c’est Cal qui a dû choisir les numéros et ils
vont dîner tous les deux en face de la télévision, leur plateau sur les genoux.
En regardant « The X Factor », puis « Qui veut gagner des
millions ? ». Ensuite, Cal ira prendre son bain et se coucher tandis
que Papa restera à boire une bière et à fumer jusqu’à ce qu’il soit assez tard
pour qu’il ait sommeil.
Un peu plus tôt, il est monté me voir. Il a traversé ma
chambre pour ouvrir les rideaux. « Regarde-moi ça ! » a-t-il dit
tandis que la lumière inondait la pièce. Ça, l’après-midi, la cime des arbres,
le ciel. Sa silhouette se dessinait à contre-jour devant la fenêtre. Debout,
les mains sur les hanches, il avait l’air d’un Power Ranger.
« Si tu ne m’en parles pas, comment puis-je t’aider ? »
a-t-il dit en venant s’asseoir sur le bord de mon lit.
J’ai retenu ma respiration. Quand on fait ça assez
longtemps, on finit par avoir des petites lumières blanches qui dansent devant
les yeux. Il s’est penché pour m’effleurer la tête, me masser doucement la peau
du crâne du bout des doigts.
« Respire, Tessa », a-t-il murmuré.
Pour toute réponse, j’ai attrapé mon chapeau posé sur la
table de nuit et me le suis enfoncé jusqu’aux oreilles. Alors il est parti.
Maintenant, il est en bas, en train de faire frire les
saucisses. J’entends la graisse postillonner, la sauce crépiter dans la poêle. Je
n’aurais jamais cru pouvoir discerner tout cela du premier étage, mais
désormais plus rien ne m’étonne. Cal, qui était parti acheter de la moutarde,
enlève son blouson dans l’entrée : j’entends le bruit de la fermeture
Eclair. En lui donnant de l’argent, il y a dix minutes, Papa lui a recommandé
de ne parler à « personne de bizarre ». Et en son absence, il est
resté sur le seuil de la porte du jardin à fumer une petite clope. J’entendais
le chuchotement des feuilles tombant à ses pieds sur le gazon. L’automne s’installe.
« Range ton blouson et grimpe voir si Tess a besoin de
quelque chose, dit Papa. Il y a plein de mûres : essaie de lui donner
envie. »
Cal porte ses baskets, l’air chuinte dans ses semelles
tandis qu’il monte l’escalier et entre dans ma chambre. Je fais semblant de
dormir mais il n’est pas dupe. Il se penche sur moi et murmure :
« Même si tu ne m’adresses plus jamais la parole, je m’en
fiche. »
Je soulève une paupière et rencontre deux yeux bleus.
« Je savais bien que tu faisais semblant, triomphe-t-il
avec un large et adorable sourire. Papa demande si tu veux des mûres.
— Non.
— Qu’est-ce que je
lui dis ?
— Dis-lui que je veux
un bébé éléphant. »
Il rit.
« Tu vas me manquer », dit-il et il m’abandonne en
laissant la porte grande ouverte sur les premières marches de l’escalier.
[…]
Vous pouvez trouver ce livre auprès de votre librairie habituelle et dans toutes les FNAC.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Exprimez-vous !! =D