Mes coups de cœur


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18 février 2014

La 5e vague T.1 - Rick Yancey (Extrait)

Extrait : La 5e vague
Rick Yancey
Éditions Robert Laffont


Intrusion : 1995

Personne ne se réveillera.
Le lendemain matin, la femme qui dort dans ce lit ne sentira rien, juste un indéfinissable mal-être et la persistante impression d'être observée. Son anxiété s'évanouira en moins d'une journée et sera bientôt oubliée.
Cependant, le souvenr de son rêve perdurera un peu plus longtemps. 
Dans ce rêve, une grosse chouette perchée sur le rebord de sa fenêtre la fixe à travers la vitre de ses grands yeux ourlés de blanc.
La femme ne se réveillera pas. Pas plus que son mari endormi à côté d'elle. L'ombre qui s'étend sur eux ne perturbera pas leur sommeil. Et ce pour quoi l'ombre est venue — le bébé dans le ventre de la femme — ne ressentira rien lui non plus. L'intrusion ne laisse aucune séquelle : la peau de la femme demeure intacte, comme ses cellules et celles du bébé.
En moins d'une minute, tout est terminé. Alors, l'ombre se retire. À présent, il ne reste plus que l'homme, la femme, le bébé dans son ventre, et l'intrus lové à l'intérieur du bébé.
La femme et l'homme ouvriront les yeux au petit matin, et le bébé, quelques mois après, à sa naissance.
L'intrus au cœur du bébé, lui, continuera à dormir et ne s'éveillera que dans plusieurs années, quand le mal-être de la femme et le souvenir de son rêve auront depuis longtemps disparu.
Cinq ans plus tard, lors d'une banale promenade au zoo avec son enfant, la femme remarquera une chouette similaire à celle de son rêve. Voir cet oiseau imposant l'angoissera sans qu'elle comprenne pourquoi. 
Elle n'est pas la première à rêver de chouettes durant la nuit.
Elle ne sera pas non plus la dernière.

1
Les extraterrestres sont stupides.
Attention, je ne parle pas des véritables extraterrestres. Les Autres ne sont pas stupides. Les Autres ont tellement d'avance sur nous que cela revient à comparer l'humain le plus idiot au chien le plus intelligent. C'est à ce point.
Non, je parle des extraterrestres créés par nos esprits depuis que nous avons réalisé que ces petites lueurs scintillant dans le ciel nocturne étaient des soleils comme le nôtre et avaient probablement, comme autour de notre Terre, des planètes en orbite. Vous savez, ces extraterrestres sortis tout droit de notre imagination. Ceux dont nous espérons une attaque... Les extraterrestres selon les humains. Vous les avez vus un million de fois. Ils fondent du ciel en piqué dans leurs soucoupes volantes pour détruire New York, Tokyo et Londres, ou bien ils arpentent les campagnes dans des machines gigantesques, semblables à de monstrueuses araignées mécaniques, bardés d'armes laser. Et chaque fois, chaque fois en pareille situation, l'humanité entière met ses différends de côté afin de s'unir contre cette horde d'envahisseurs. David tue Goliath et tout le monde (exception Goliath) rentre à la maison, heureux.
Quelle merde !
Comme si un cafard pouvait échafauder un plan imparable pour éviter la chaussure s'apprêtant à l'écraser.
Il n'y a aucun moyen de le savoir, mais je paris que les Autres étaient au courant de notre vision des extraterrestres. Et je suis sûre qu'ils se sont bien marrés. En tout cas, s'ils ont le sens de l'humour... Oui, ils ont dû rire à en pleurer comme nous, lorsqu'un chiot commet une bêtise. Oh, regardez-moi ces adorables crétins d'humains ! Ils croient que nous pensons comme eux. N'est-ce pas trop mignon ? 
Oubliez les soucoupes volantes, les petits hommes verts, et les araignées géantes qui crachent des rayons de la mort. Oubliez les batailles héroïques avec des tanks et des avions de chasse, et notre victoire finale d'humains intrépides — certes en piteux état, mais sains et saufs -, sur cette nuée de créatures aux yeux exorbités. C'est aussi éloigné de la vérité que leur planète mourant l'était de la nôtre, bien vivante.
La vérité, c'est qu'une fois qu'il nous eurent trouvés, nous étions foutus.

2
Parfois, je pense que je suis la dernière humaine sur Terre.
Ce qui signifie que je suis la dernière humaine de l'univers.
Je sais, c'est idiot. Ils n'ont quand même pas pu tuer tout le monde... Enfin, pas encore. Cependant, ça pourrait bien arriver. Et, à mon avis, c'est exactement ce que les Autres veulent que je croie.
Vous vous souvenez des dinosaures ? Ben voilà. C'est pareil.
Alors, je ne suis peut-être pas la dernière humaine sur Terre, mais sûrement l'une des dernières. Complètement seule — et ça va sans aucun doute durer — jusqu'à ce que la 4e Vague déferle aussi sur moi et m'emporte. 
C'est une des pensées qui m'obsèdent durant la nuit. Vous savez, ce genre de truc qui vous réveille en sursaut, à trois heures du matin, quand vous vous dites : « Oh, mon Dieu, je suis foutue ! » Quand je me recroqueville dans mon sac de couchage, tellement effrayée que je ne parviens pas à fermer les yeux, envahie d'une peur si intense que je dois me forcer à respirer, priant que mon cœur continue à battre. Quand mon esprit, incapable de se contenir, ne cesse de m'assener tel un CD rayé : seule, seule, seule, Cassie, tu es seule.
C'est mon prénom. Cassie.
Pas Cassie pour Cassandra. Ni Cassie pour Cassidy. Cassie pour Cassiopée, la constellation, la reine enchaînée à son trône dans le ciel de l'hémisphère nord, une reine à la beauté magnifique, mais vaniteuse, condamnée par Poséidon à tourner éternellement autour du pôle Nord, comme punition à son orgueil. En grec, Cassiopée signifie : « celle dont les paroles excellent ». 
Mes parents ignoraient tout de ce mythe, mais ils aimaient bien ce prénom. 
Même quand il y avait encore du monde autour de moi pour m'interpeller ou discuter, personne ne m'a jamais appelée Cassiopée. Juste mon père — lorsqu'il voulait me faire enrager d'ailleurs — et toujours avec son très mauvais accent italien : Cass-io-pééée !  Ça me rendait dingue. Je ne trouvais pas cela joli, ni drôle, et à cause de lui j'en arrivais à détester mon prénom. Je m'appelle Cassie ! je lui criais : Juste Cassie !
Aujourd'hui, je donnerais n'importe quoi pour l'entendre le prononcer encore une fois.
Quand j'ai eu douze ans — soit quatre ans avant l'Arrivée -, mon père m'a offert un télescope pour mon anniversaire. Lors d'une fraîche et claire nuit d'automne, il l'a installé dans le jardin et m'a montré la constellation.
— Tu vois comme elle a la forme d'un W ? m'a-t-il demandé.
— Pourquoi est-ce qu'on l'appelle Cassiopée si elle a cette forme ? W pour quoi ? 
— Eh bien... J'ignore s'il y a une raison quelconque, m'a-t-il répondu avec un sourire.
Maman lui disait toujours que son sourire était sa meilleure arme, alors il avait tendance à en abuser, surtout depuis sa calvitie. Vous savez, pour que la personne en face de lui ne fixe pas son crâne.
— Mais pour ta gouverne, a-t-il poursuivi, le W se transforme en M quand la constellation passe au-dessus du pôle céleste. Alors, ce M peut représenter tout ce que tu veux. Pourquoi pas M comme merveilleuse ? Ou magnifique ? Ou mignonne ?
Il a posé sa main sur mon épaule pendant que j'observais au télescope cette constellation à cinq étoiles qui brillait à onze mille années-lumière de nous. Je sentais le souffle de mon père sur ma joue, chaud et doux dans cette fraîche nuit automnale. Oui, ce soir-là, son souffle était si proche, et les étoiles de Cassiopée si loin !
Aujourd'hui, ces mêmes étoiles semblent beaucoup plus proches. Plus proches que ces centaines de milliards de milliards de kilomètres qui nous séparent. Assez près pour que je puisse les toucher. Elles sont aussi proches de moi que le souffle de mon père ce soir-là.
Ça a l'air dingue. Est-ce que je suis dingue ? Est-ce que j'ai perdu la tête ? Pour dire qu'une personne est dingue, il faut pouvoir la comparer à une autre, normale. Comme le Bien et le Mal. Si tout était bon, rien ne serait bon.
Waouh ! Tout ça a l'air vraiment... dingue.
Dingue : la nouvelle norme.
Je crois finalement que je peux me qualifier de dingue, vu qu'il existe une autre personne à qui je peux me comparer : moi-même. Pas le moi que je suis aujourd'hui, qui frissonne dans une tente au fond des bois, trop effrayée pour sortir ne serait-ce que la tête de son sac de couchage. Pas cette Cassie-là. Non, je veux parler de la Cassie que j'étais avant l'Arrivée, avant que les Autres n'entament leur descente chez nous, cette Cassie âgée de douze ans dont les principaux problèmes se résumaient à l'abondance de taches de rousseur sur son nez, à ses cheveux bouclés qu'elle ne parvenait jamais à coiffer comme elle l'aurait souhaité, et à ce garçon mignon qu'elle croisant chaque jour, sans qu'il lui accorde le moindre regard. La Cassie qui avait fini par accepter qu'elle était juste pas mal. Pas mal question look. Pas mal au collège. Pas mal en sport, comme au karaté ou au foot. En fait, les seules choses originales chez elle étaient son prénom bizarre — Cassie, pour Cassiopée, cette constellation dont tout le monde se fichait éperdument — et cette capacité à toucher son nez avec le bout de sa langue, talent qui perdit vite son importance quand elle entra au lycée.
D'après les standards de cette Cassie, je suis probablement dingue.
Tout comme elle l'est, selon les miens. Parfois, je crie après elle, cette Cassie de douze ans, qui se plaint de ses cheveux, de son prénom curieux et ne cesse de se demander si elle est juste pas mal. Qu'est-ce que tu fous ? je hurle. Tu ne vois pas ce qui va arriver ? 
Mais là, je suis injuste envers elle. À vrai dire, elle ne savait pas, elle n'avait d'ailleurs aucun moyen de savoir. C'était sa grande chance, et pour être honnête, c'est aussi pour cette raison qu'elle me manque tant, plus que n'importe qui. Quand je pleure — les rares fois où je m'y autorise -, c'est sur elle que je pleure. Pas sur moi. Non, je pleure la Cassie qui a disparu.
Et j'ignore ce que cette Cassie penserait de ce que je suis devenue. 
Une Cassie capable de tuer.
[...]


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